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La Ceriseraie
Le Projet
Le point de départ de ce spectacle, c’est d’abord notre rencontre, en novembre 2019, entre étudiants de l’EITB (Bénin) et de l’ENSATT. Pendant deux semaines, nous avons parlé de nos désirs de théâtre, de notre rapport au monde, des liens qui peuvent unir nos deux pays. Dans nos échanges, il a beaucoup été question de terre, de sentiment d’appartenance, de traditions, d’origines et d’héritages, de mémoire et d’oubli, de spiritualité et d’identité. Autant de motifs qui nous ont progressivement conduit vers la lecture de La Cerisaie de Tchekhov, jusqu’à envisager une libre réécriture de cette pièce.
Dans cette version, pas question de copier, parodier ou honorer l’auteur russe ; ici, Pierre Koestel reprend les thèmes du déracinement et de la désillusion, pour construire une intrigue autour d’un hôtel au bord de la faillite. Parce que résoudre toutes nos questions reste un enjeu complexe, cette Ceriseraie nous permet d’interroger gaiement, et le temps d’un spectacle, nos motivations personnelles dans une fraternité qui elle seule permet l’union des contraires.
DOREEN reste seule.
Elle ramasse la Tour Eiffel cassée. Déambule un peu sur la terrasse. Regarde l’océan.
SOUROU arrive d’un pas pressé, il semble essoufflé.
SOUROU. – Je suis en retard ? Ils ne sont pas encore arrivés ?
DOREEN ne répond rien.
SOUROU. – Mademoiselle, est-ce que tout va bien ?
DOREEN. – En fait, ce serait comme d’arriver quelque part pour la première fois et, paradoxalement, de s’y sentir chez soi. Ou alors, de revoir un parent qu’on croyait disparu depuis longtemps. On se ressemble, il y a quelque chose qui nous lie, et pourtant, nous sommes de parfaits étrangers l’un pour l’autre.
SOUROU. – Je ne suis pas sûr de comprendre.
DOREEN. C’est à peu près l’état dans lequel je me sens.
SOUROU. – Ah.
DOREEN. – Pour répondre à ta question.
SOUROU. – D’accord.
Texte : Pierre Koestel
Mise en scène : Marie Demesy
Assistanat et régie générale : Boris Ahiha
Scénographie et costume : Shehrazade Dermé
Assistanat scénographie et costume : Julie Keyser
Habillage : Julie Keyser
Encadrants : Philippe Delaigue et Dine Alougbine
Jeu : Boris Ahiha, Casimir Agbla, Sabrine Ben Njima, Marie Demesy, Shehrazade Dermé, Candace Gangnido, Geoffroy Hazounme, Delphine Kanou et Pierre Koestel.
Dans La Cerisaie, Tchekhov représente une communauté d’aristocrates endettés qui, pour s’en sortir, doit envisager de vendre le domaine familial auquel elle est très attachée. Les personnages y sont hantés par leur passé, préfèrent parler de leurs états d’âme plutôt que des réalités problématiques qu’ils traversent. Ils semblent immobiles et peu enclins à l’action. Et même les cerisiers de leur propriété, autrefois célèbres pour les fruits qu’ils produisaient, ne donnent plus vraiment de récoltes satisfaisantes. Aussi, les jeux semblent fait dès l’ouverture de la pièce et l’issue, quant à elle, paraît inévitable. Tchekhov parle ainsi du déclin d’une classe sociale, autrefois rayonnante, mais aussi de la fin d’une époque, qui verra naître la révolution russe moins d’une quinzaine d’année après l’écriture de la pièce.
Or, notre époque est, elle aussi, marquée par différents bouleversements qui nous interrogent et nous poussent à penser différemment notre avenir : les inquiétudes liées au réchauffement climatique et le durcissement des politiques libérales entraînent nombre d’individus à travers le monde à repenser, à contester, sinon à se révolter contre un ordre établi qui ne peut plus aller de soi. Dans un tel contexte, les inégalités sociales semblent s’accroitre et marquer plus durement les antagonismes qui tendent nos sociétés. Les êtres, quant à eux, sont mus par le sentiment que quelque chose doit changer, pour rompre avec l’impression d’immobilisme, face à des classes politiques en apparence aveugles aux maux qui agitent leurs sociétés.
Les motifs présents dans La Cerisaie ont également trouvé une résonance particulière pour nous, au regard des mutations qui agitent actuellement le Bénin. En effet, un vaste programme de réaménagement du territoire transforme progressivement le pays, pour renforcer les équipements touristiques et commerciaux. De fait, une nouvelle économie est en train de voir le jour, et avec elle, une autre dynamique de société. Les conséquences pour les Béninois sont doubles : d’une part, la création d’emplois liée au développement de ces activités. Mais, d’autre part, de nombreux habitants du littoral doivent abandonner leur lieu de vie, où seront construits d’imposants complexes hôteliers. Aussi, si ces projets prennent la forme de promesses pour certains, ils semblent aussi condamner les autres à des changements considérables. La question se pose alors : À qui profite véritablement ce projet de réaménagement du territoire ?
Finalement, c’est bien la notion de la terre qui nous paraît ici centrale : est-ce qu’on appartient à une terre ? À un pays ? À un peuple ? À une communauté ? Qu’est-ce que cela signifie, engage ou représente pour nous ? Que signifie se sentir « chez soi » ? Comment revient-on sur une terre qu’on a quitté depuis longtemps ? À l’inverse, comment quitter les lieux qui comptent pour nous ? Quels liens entretenons-nous les uns avec les autres ? D’un pays à un autre ? Et ainsi, quelle serait « notre cerisaie » ? Comment pourrions-nous la définir et la représenter ?
Notre fiction s’articule donc au croisement de ces réflexions, dans un pays imaginaire d’Afrique. Elle retrace l’histoire d’une fratrie, qui se retrouve dans la propriété familiale alors que le père est en train de mourir. Certains enfants sont partis vivre loin de chez eux, d’autres sont restés dans le pays où ils ont grandi. Cette propriété est un hôtel bâti en bord de mer, qui a connu une certaine prospérité par le passé, mais qui connait maintenant d’importantes difficultés liées à la maladie du père. Ainsi, ces retrouvailles deviennent l’occasion d’une exhumation du passé et confrontent les personnages à plusieurs questions essentielles pour eux : ont-ils eu raison de faire les choix qu’ils ont fait ?
Vaut-il mieux partir définitivement ou tenter de rester ? Préserver les derniers souvenirs de leur enfance ou bien aller de l’avant et tout abandonner ? Pendant qu’ils cherchent des réponses, les choses s’agitent autour d’eux, sans qu’ils semblent en être affectés : le littoral, au bord duquel a été construit leur hôtel, est en cours de réaménagement et suscite un mouvement de contestation de la part des populations locales les plus précaires, directement menacées par le développement dudit projet.
Il s’agira donc, dans ce travail, non pas de chercher à reproduire l’écriture de Tchekhov dans une sorte d’exercice de style, mais bien d’inventer une dramaturgie et une langue d’aujourd’hui. De chercher les détours susceptibles de donner une singularité à notre spectacle, et de trouver une écriture qui nous représente, nous, jeunes créateurs en devenir, face au monde qui nous entoure et face à un texte de répertoire qui prend place au sein de notre héritage artistique.
Pierre Koestel
Quelle chance fabuleuse de pouvoir créer ensemble, de pouvoir se rencontrer le temps d’un spectacle au sein d’une équipe franco-béninoise. Ces cinq semaines de résidence à l’EITB seront donc l’occasion de créer le spectacle, mais surtout de chercher ensemble, de sorte que le processus de création soit aussi important que la création elle-même, dans une tâtonnement joyeux et exigeant où l’ensemble de l’équipe a une partition au plateau. Magnifique et terrible perspective, fureur d’inventer ensemble pour la première et probablement la dernière fois ; fureur de vivre et de dire adieu remarquable des personnages tchekhoviens, et qu’on retrouve dans l’écriture de Pierre Koestel. Davantage que de mettre en scène l’aliénation des personnages de cette Ceriseraie, il s’agira de faire entendre d’une part l’histoire individuelle et familiale des personnages, et d’autre part l’Histoire avec un grand « H », ce moment historique auquel tous participent. Car c’est tout le paradoxe, voire le problème de la pièce selon moi : ceux qui en apparence bavassent mais n’agissent pas, et qui organisent une fête pendant que d’autres s’immolent dans la rue, tous et toutes sont des êtres profondément historiques. Sans nous imposer une conduite exemplaire, la pièce nous invite à reconsidérer notre responsabilité individuelle au sein de la grande histoire, nos appartenances prises dans l’étau de nos tragédies intimes et singulières.
Marie Demésy
Je souhaiterais proposer des images faites à l’aquarelle rappelant la carte postale.
Partir d’une page blanche, lui dessiner des formes puis la colorer.
Pour ce projet nous allons utiliser comme matière première, le tissu de coton blanc pour les toiles du décor, les accessoires ainsi que pour les costumes. Ensuite nous travaillerons sur la teinte des costumes et des décors à partir de teintures naturelles locales.
Un espace et des costumes qui se seraient imprégnés l’un l’autre. qui pourrait réagir aux pluies et au temps qui passe : travailler sur la matière légère du tissu, et la délicatesse de la teinture naturelle, mais aussi sur leur fragilité, face au soleil et au sel de la mer.
Sur la scène, de légères structures en bois portant les toiles.Un espace à la fois précaire comme certaines cabanes de pêcheurs mais qui peut aussi être perçu comme un rêve ou un fantasme exotique.
Shehrazade Dermé
Dossier de création
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L’ENSATT est une maison qui s’ouvre régulièrement au public. Elle offre ainsi à toutes celles et ceux qui le souhaitent l’occasion de découvrir les étudiantes et étudiants au travail, et à ceux-ci de prendre la pleine mesure de la place des spectateurs dans la pratique de leur art. Les travaux présentés peuvent être en cours, inachevés par nature (sorties de résidences, fins d’atelier…), ou prendre la forme de véritables spectacles de formats très variés. Ils sont conduits par des artistes de théâtre invités pour l’occasion à travailler à l’ENSATT, par des enseignantes et enseignants réguliers ou par les étudiantes et étudiants eux-mêmes.