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Le Crime du XXIe siècle
2099, quelque part en Europe.
Un pays est dirigé par un régime militaire et totalitaire violent. La société est désormais divisée en deux groupes : la majorité des habitantes et des habitants est placée dans des cités urbaines sous contrôle étroit de l’armée, la caste dominante est retranchée dans le « ghetto des riches ». Toute résistance est sévèrement réprimée, la prison et la torture.
Autrefois, cette société vivait dans une zone qui a été nettoyée. L’armée a rasé les villes sur des centaines de kilomètres, détruit les points d’eau afin de décourager toute tentative de réoccupation. Cela laisse place à un désert de ruine, contrôlé et surveillé en permanence par l’armée.
Quelques survivantes et survivants esseulés ont échappé à l’éradication. Ils s’y terrent, marchant sans cesse pour échapper à la surveillance, trouver de l’eau et de la nourriture.
L’une de ces survivants a créé son refuge dans les décombres d’une maison qui recèle un élément extraordinaire : un robinet d’eau potable.
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la 3e et dernière année d’étude de la formation Mise en Scène.
Adaptation de Le Crime du XXIe siècle d’Edward Bond
Traduction : Michel Vittoz
Mise en scène : Salomé Bloch
Jeu : Andréas Chartier, Hippolyte Orillard, Sarah Cavalli Pernod et Mélie Torrell
Scénographie : Kinga Sagi
Conception lumière : Alexandre Schreiber
Conception son : Anne Astolfe
Conception costume : Gabriella Lopez
Premières pistes de recherches scénographiques : Justine Baron, Alma Bousquet et Blandine Granier
Construction scénographique : Clara Gridine, Elise Vasseur et Faustine Zanardo
Consultation effets spéciaux : Salomé Romano
Assistanat costume : Mélanie Sabatier
Régie de production costumes : Ameline Fauvy
Atelier costume : Natacha Becet, Inès Catela, Emma Chapon, Apolline Coulon, Louise Daubas, Thelma Di Marco Bourgeon, Emma Euvrard, Ameline Fauvy, Inès Forgues, Aurore Guillemenot, Mathilde Hacker, Valentine Issanchou, Tanguy Kretz, Elise Massih, Mathilde Paris et Lisa Renaud
Renfort Patines : Aella Thobie et Typhanie Bicheux
Administration : Noé Tijou
Crédit visuel : Kinga Sagi
Il était dit : donnez à manger aux gens et ils seront justes
L’âge de la paix commencera
Il n’en est rien
Il est juste que nous mangions mais manger ne nous rendra pas justes
Nous aurons faim de justice
Sans justice notre faim grandit jusqu’à nous faire dévorer la terre
Regardez-là l’homme assis par terre il dévore sa propre tombe
Mais il n’y a pas de justice
Il y a la machine
Elle satisfait nos besoins pour qu’il n’y ait plus de besoins
Notre faim grandit et pour la satisfaire la machine dévore la terre
Les rivières étaient asséchées – les mers des égoûts où nageaient les rats qui mangeaient les poissons
– les orages emportaient les montagnes
– déracinaient les forêts
– les arbres clouaient la terre dans leurs griffes
– les villes écrasées en longues tranchées
de gravats où des cannibales
apprenaient à manger à leurs enfants
– et les orages balayaient
la poussière humaine
formaient des colonnes
et hurlaient la faim qui étaient
en elles
La machine disait : qu’ils mangent de la nourriture
La machine était notre faim de nourriture
La machine nous nourrissait
Ceux qu’elle ne nourrit pas ont faim de nourriture et de justice
Mais ceux qui sont nourris ne recherchent pas la justice
Ceux qui sont nourris ont plus faim que ceux qui ne le sont pas – c’est la loi de la machine
Ceux qui sont nourris volent ceux qui ne le sont pas – c’est aussi la loi de la machine
Et comme ils volent dans l’assiette de l’autre ils ont peur que l’autre vole dans leur assiette
Vous ne pouvez pas avoir votre liberté au prix de la répression d’un autre ou créer la justice avec rage
Autrefois les tyrans transformaient l’histoire mais en ce temps où il n’y avait pas de tyrans – pas
d’histoire – pas de besoin – pas d’origine
Il n’y avait nulle part
Nulle part est le site de la machine
La machine est notre faim
Quand les gens sont venus pour être nourris la machine les a mangés
La machine travaillait comme avant mais mangeait ce qu’elle produisait
La machine enleva le besoin
Ce jour-là chaque esprit dans le monde fut vidé – devint blanc
Le vide dura une seconde ou des heures ou pour toujours
Qui peut dire combien de temps il a duré quand il n’y a pas de passé – nulle part – pas d’origine ?
A quel instant l’esprit est-il vidé ?
Quand la peur enferme l’esprit dans l’instant et que la nourriture tombe des bouches grandes ouvertes
et que la faim grandit ?
Plus ils mangeaient et plus ils avaient faim et plus ils avaient peur
Il n’y avait pas de passé – pas de futur – nulle part – pas d’origine
Les morts n’ont pas besoin de leur squelette et dans les moments de vide les vivants n’avaient pas
besoin de leur chair
L’espèce humaine mourut
Et donc des prisons furent construites
Puis les maisons détruites – pas par colère mais parce qu’elles gênaient le déploiement des prisons
Les administrations administraient nulle part et les gens étaient encombrants pour l’administration –
et gênants pour l’armée
Les morts furent enfermés dans des megas banlieues dépourvues de centre – ils hurlaient c’était leur
façon de se parler à eux-mêmes
Ceux qui avaient faim étaient enfermés dans une prison-ville appelée Priscit – pour les punir on les
faisait rire
Les riches s’enfermèrent dans un ghetto – ils jouaient avec des jouets qui leur apprenait à haïr – ils
étaient les mandarins des casseurs
L’imagination était plus logique que la raison
La raison clone les faits et accumule le savoir-faire pour que la science puisse rendre notre ignorance
utile
Quand la raison détruit l’imagination, nous devenons fous
L’imagination crée la folie ou l’humain
Elle crée l’humain quand elle désire la raison
Quand il y avait encore un passé – et un futur et une origine – l’imagination créa le Diable et Dieu pour
nous aider à être humains
Le Diable vint en premier et créa Dieu
Imaginez la terrible solitude du Diable – il créa Dieu pour le consoler tandis qu’il était dans sa prison
La prison est la maison de Dieu et Dieu ne peut pas avoir d’autre maison
Dans le passé nous avions besoin de la folie pour nous aider à être sain d’esprit
Mais quand la machine enleva le besoin et créa la faim
qui est plus grande que toute l’avidité enseignée par
le Diable – trop grande pour être comblée par Dieu
– il n’y eut plus de raison d’être pour Dieu ni
pour le Diable et ils devinrent les icônes des
fous
Maintenant le mirage dans le désert n’est plus une oasis de fontaines et de palmiers
Mais les gibets – les fosses – les ombres enchaînées au mur
L’homme s’assoit par terre et vomit dans sa tombe
Je le rapporterai aussi simplement que je le peux
La raison et l’imagination sont deux pratiques
Ensemble elles sont le paradoxe que nous vivons
Perfectionner un don et le mettre en pratique pour faire ce qui est beau et chercher ce qui est juste –
c’est ce que fait le sage
Mais avec notre vie il en va autrement : quand nous avons appris à vivre nous mourons
Nous partons dans une direction et marchons dans une autre
C’est comme si nous vivions à reculons
Nous grimpons un abysse en sachant qu’il nous faut tomber
Nos enfants sont notre mort
Nous travaillons à la construction d’une maison juste mais nos enfants ont à la détruire pour trouver
les ruines de la justice
Comment pouvons-nous vivre dans un tel paradoxe ?
Comment changer la catastrophe en liberté ?
Comment changer le crime en justice ?
Comment inverser toutes les lois en ce sens ?
C’est facile, l’envers de toute loi est la justice
L’homme juste inverse toutes les lois afin d’être lui-même
La chute est une étape du voyage – un moment de la tragédie
Il y aura un jour dans votre vie où vous vous rencontrerez vous-même dans la rue venant à votre propre
rencontre
Ce sera le messager que vous aviez envoyé en avant pour savoir comment il vous fallait vivre
Le messager vous accueillera à bras ouvert et vous dira que vous devez mourir
Mais c’est le messager qui mourra – vous pourrez le secourir et pleurer mais vous ne pourrez rien faire
d’autre
Souvenez-vous seulement de ceci : ne tuez pas le messager
Si vous le faites votre imagination mourra
Un réactionnaire vit dans un cercueil avec un miroir installé sous le couvercle
La plupart des gens passent leur vie en faisant le siège de leur prison
Si vous vous tuez vous-même quand vous rencontrerez dans la rue ce sera comme par le passé – vos
enfants viendront prendre votre corps et le laveront mais ne le mettront pas en terre
Ils l’installeront à leur table et taperont dans leurs mains en disant nous avons faim donne-nous à
manger
Et vos enfants seront servis, ils seront la viande et la boisson à votre table
Vous mangerez et boirez et mourrez de votre faim
Un jour l’humanité est morte
Il n’y avait pas de futur – nulle part – pas d’origine
Personne ne pouvait plus se croiser soi-même dans la rue
La machine émit un son de sirène au jour de la résurrection
Les cercueils s’ouvrirent d’un coup et de chacun sortit un étranger qui n’avait pas été enterré dedans
L’eau était sans reflet
L’univers est une erreur avec laquelle nous devons apprendre à vivre
Les plus jeunes n’ont pas à tuer les plus vieux parce qu’ils sont nés, ni les plus vieux à mettre les plus
jeunes en prison parce qu’ils ont tué
Chaque génération s’aveugle à sa manière mais apprend les mêmes vérités
C’est la logique de la raison que deux ajouté à deux fasse quatre
C’est ce que nous apprenons et nous prospérons
Mais la faim conduit l’injuste à craindre et sa colère le conduit à compter cinq pour quatre et la machine
devient folle
Ne donnez pas à Dieu des machines pour jouer – il nous tue avec des jouets
Chaque grain de sable est l’univers parce que sans l’univers il n’y aurait pas un grain de sable
Si le grain disparaissait il emporterait l’univers avec lui
L’éternité tient en une seconde parce que sans éternité il ne pourrait y avoir une seconde
C’est aussi cela la logique de la raison
Alors combien y a-t-il de corps dénudés entassés devant les portes du camp ?
Vingt ? Cinquante ? Cent ?
Toute l’humanité y est entassée – c’est cela la logique e l’imagination
Tous ceux qui sont qui ont été ou qui seront sont allongés dans le couloir
Ils sont en vous et vous êtes en eux – et les nus et les brisés et toute leur faim est votre faim et votre
faim est la leur
Si vous ne recherchez pas la justice ceux qui viendront après vous porteront votre douleur et mourront
de vos blessures
Et donc il vous faut porter leur douleur ou mourir de faim
La faim de justice nous rend humain
La justice est l’envers de toutes les lois
Crédit photographique galerie Benjamin Bourgeois
OUVERTURES
L’ENSATT est une maison qui s’ouvre régulièrement au public. Elle offre ainsi à toutes celles et ceux qui le souhaitent l’occasion de découvrir les étudiantes et étudiants au travail, et à ceux-ci de prendre la pleine mesure de la place des spectateurs dans la pratique de leur art. Les travaux présentés peuvent être en cours, inachevés par nature (sorties de résidences, fins d’atelier…), ou prendre la forme de véritables spectacles de formats très variés. Ils sont conduits par des artistes de théâtre invités pour l’occasion à travailler à l’ENSATT, par des enseignantes et enseignants réguliers ou par les étudiantes et étudiants eux-mêmes.